vendredi 3 juin 2016

Bart is back de Soledad Bravi

Bart a chaud. Il n'est que 10 heures du matin pourtant. 
 
 

Si vous ne lisez que ces lignes;

Une bd sur un chat zombie ! Un petit moment de rigolade acide, où l'on suit de vies en vies les morts absurdes et cruelles de ce chat pas si sympathique que cela !  


Soledad Bravi 

Fille de l'éditrice Mila Boutan, Soledad Bravi sort diplômée de l’École supérieure d’arts graphiques Penninghen en 1988. 
 
Elle travaille comme directrice artistique dans la publicité, puis devient illustratrice professionnelle en 1993 à la naissance de son premier enfant. 

Elle est l'auteur de nombreux livres chez différents éditeurs (Marabout, Gallimard, Seuil, Mila). Elle collabore avec Monoprix, Colette, le pâtissier Pierre Hermé. 

Depuis mai 2012, elle signe une page hebdomadaire dans Elle.

Vous trouverez ici une interview à l'occasion de la sortie de son ouvrage aux éditions Denoël  relatant les aventures de Bart.  


Le pitch  

 En 2015 à Tampa, Floride, un chat enterré depuis cinq jours sort de la tombe à la stupeur de son propriétaire et à l'effroi de ses voisins. 

Les médias le surnomment aussitôt Zombie Cat. S'inspirant de ce fait divers réel, Soledad Bravi imagine, dans le droit fil des maîtres du New Yorker, une ode malicieuse à la vie et à la liberté. 


Ce que j'en ai pensé

Aussitôt arrivé, aussitôt dévoré ! (zombie blogueuse !!). Les tressautements ne mettent pas longtemps à se manifester, entrecoupés de quelques francs fou-rires... Reste à aimer l'humour noir et le sarcasme. 

Les invités passent, chacun repère l'opus, se pose et s'enferme dans sa bulle en ricanant des facéties imaginées par Soledad Bravi.

Proche tant par le trait que par l'humour caustique des plus grand illustrateurs de la presse, principalement américaine, Soledad Bravi s'apparente de par son travail à de grands noms tels que  les maitres que sont Ronald Searle et Charles Addams ou encore Quentin Blake. 

Drôle et cynique,  cherchant le rire dans le politiquement non-correct, l'humour croque ici les traits de notre société, dénonçant le moche et l'absurde. 
 
Adorateurs des chats, vous rirez de bon cœur des aventures de ce félidé moche et méchant, de ses envies de gloire, de voyage, de révolte contre le système que partagent bon nombre d'individus de nos sociétés,  et cerise sur le gâteau : des morts gores ou effroyables de ce personnage revanchard. 

Certes, l'addition est salée pour nos amis chinois, les légendes urbaines y sont largement usées, et la clef de voute créant du rythme dans le récit (à savoir les neufs vies d'un chat) est un poncifs... 

Mais là est le tour de force, peut-être, de Soledad Bravi ; mettre le lecteur face à face avec l'inconfort des blagues xénophobes, l'absurdité des heures passées à regarder des lol-cats sur le net, ou encore la fascination morbide pour les faits divers dont tout un chacun a sentit un jour la caresse malsaine. 

Bart est donc un personnage permettant la catharsis, exprimant le ras-le-bol de tous, l'envie de bouffer la voisine ou celle de dire "fuck" à la société. 

Salvateur comme un verre d'eau fraiche après une longue journée, méchant mais loin d'être bête, cette petite bd vous tirera à n'en pas douter des sourires de toutes les couleurs !


En résumé... 


Les plus;
  • Un humour caustique faisant effet de miroir,
  • un personnage détestable loin des mignons petits chats qui nous envahissent, 
  •  une rythmique apportant des gags imprévus mais aussi des répétitions,
  • un pétage de plombs qui fait du bien. 
     
 Les moins
  •  Un trait de dessin qui ne plaira peut-être pas à tous mais qui m'a séduite,
  • des poncifs, notamment sur les chinois, prenant une grande place dans le récit. 

En conclusion;

Roman graphique drôle et caustique, Bart is back vous fera passer un excellent moment. Le rire y est cruel, cathartique, la perception de nos sociétés sans concession, et ce mélange est salvateur à une époque où l'uniformité menace. 

Pour aller plus loin  









mercredi 1 juin 2016

Le monde des contrées, l'oeuvre de Jacques Abeille, par les 400 coups et Eric Darsan

Jusqu’au moment, au bout de quelques mois, où l'on ne récoltera plus que quelques figurines de la hauteur d'un doigt ; encore les dernières ne dépassaient-elles guère la dimension de l'auriculaire. A cet instant, tandis qu'à une extrémité du domaine on récolte ces statues amenuisées jusqu'au volume du bibelot, à l'autre extrémité on a déjà planté une nouvelle vague de germes.


Si vous ne lisez que ces lignes;

Voici une double entrée  dans le monde littéraire de Jacques Abeille, auteur prolifique ayant écrit une quarantaine d'ouvrages dont huit forment le cycle principal des contrées. Double entrée grâce à la présentation écrite par Eric Darsan, mais également grâce aux œuvres illustrant ce magnifique objet, produites par le collectif des 400 coups. Découverte totale d'un monde de l'imaginaire qui m'était inconnu et qui est d'ors et déjà inscrit dans ma liste de lectures à venir ! 



Jacques Abeille


Jacques Abeille, dit aussi Léo Barthe, est un écrivain français né en 1942. Il est l'auteur d'une œuvre romanesque difficilement classable, qui a été couronnée par la mention spéciale du Prix Wepler en 2010. 

Orphelin en 1944, Jacques Abeille est tout d'abord élevé par un oncle. Il s'installe à Bordeaux en 1959, après avoir vécu en Guadeloupe. Il y étudie la psychologie, la philosophie et la littérature, et devient professeur d'arts plastiques. Il écrit dans le Bulletin de Liaison Surréaliste, et dans la revue La Brèche.
 
Son premier roman, La Crépusculaire, est publié par Régine Deforges en 1971, mais la faillite de la maison d'édition L'Or du temps empêche la publication des Jardins statuaires. Malgré les recommandations de Julien Gracq, José Corti ne publie pas les Jardins statuaires. Cette oeuvre est finalement publiée chez Flammarion en 1982.

Son œuvre la plus connue, la série romanesque du Cycle des contrées, se déroule dans des pays imaginaires.

Jacques Abeille se définit comme « l’archiviste de ses propres textes » : ceux que l’on écrit pour garder la trace du présent (le cahier de Barthélemy Lécriveur dans Le Veilleur du jour), ceux qui structurent la société (Les Jardins statuaires) ou encore ceux qui sont enracinés dans le sable (les stèles de L'Écriture du désert).

Il a été lauréat en 2015 du Prix Jean Arp de littérature francophone.

 Le Cycle des Contrées (Prix Wepler 2010) :
  • 1. Les Jardins statuaires, Flammarion, 1982. Rééd. Joëlle Losfeld, 2004. Rééd. Attila, 2010. Nouvelle édition, « Folio », Gallimard, 2012.
  • 2. Le Veilleur du Jour, Flammarion, 1986 (rééd. Ginkgo éditeur/Deleatur, 2007).
  • 3. Les Voyages du Fils, Ginkgo éditeur/Deleatur, 2008.
  • 4. Léo Barthe, Chroniques scandaleuses de Terrèbre, Ginkgo éditeur/Deleatur, 2008.
  • 5. L’explorateur perdu
  • 6. Les Mers perdues, dessins de François Schuiten, Attila, 2010.
  • 7. Les Barbares, dessins de François Schuiten, Attila, 2011.
  • 8. La Barbarie, dessins de François Schuiten, Attila, 2011.
 Un très bel article sur l'auteur par esprits nomades ici.



Le collectif les 400 coups 


Chaque année, le Tripode propose à vingt artistes-sérigraphes d'offrir leur vision d'un livre de la maison d'édition sous forme de 20 estampes.  Le projet des 400 coups s'arrêtera avec un vingtième texte en 2023  et 400 estampes au final, d'où son nom.

Expositions itinérantes, sérigraphies en éditions limitées, œuvres au service de la découverte d'un auteur, le collectif des 400 coups est une démarche artistique engagée et engageante. 

Cette année, un collectif de vingt artistes contemporains a lu Les jardins statuaires. De ces vingt lectures sont nées vingt affiches imprimées en sérigraphie.

Que ces vingt artistes-sérigraphes soient ici nommés : Medhi Beneitez, Antoine Ronco, Julien Lemière , Lilian Porchon, Sophie Glade, Eléonore Hérissé, Anna Boulanger, Julien Duporté, Anthony Folliard, Julie Giraud, Estelle Ribeyre, Olivia Sautreuil, Marie Drancourt , CLoïc Creff, Sylvain Descazot, Nicolas Thiebault-Pikor, François Marcziniak, Eric Mahé, Audrey Jamme, Mathieu Lautrédoux.


Leurs parutions ;
Tokyo infra-ordinaire, de Jacques Roubau, 2014 
Le conte de la dernière pensée, de Edgar Hilsenrath, 2015
Le monde des contrées, d'Eric Darsan, 2016

Ici un blog retraçant leurs péripéties.  

Eric Darsan 

Ancien libraire et historien de formation, avec les utopies pour domaine de recherche, Éric Darsan est un lecteur attentif des œuvres de Jacques Abeille depuis plusieurs années.

Libraire, écrivain et chroniqueur habitant en Bretagne, il  propose régulièrement des articles sur ses lectures.

Suivez ses articles sur son blog ici

Ce que j'en ai pensé

C'est grâce à la Voie des indés qui met à l'honneur chaque mois des petites maisons d’éditions permettant aux membres du réseau social de lecteurs Libfly d'en découvrir des titres, que j'ai put m’émerveiller sur ce superbe livre-objet. 

Livre concept, beau comme une bande dessinée de luxe, porte ouvrant sur un univers entier; voilà un ouvrage qui possède toutes les qualités pour plaire !

Dans un premier temps, la découverte d'un auteur de science-fiction aux accents d'ethnographie, francophone, ayant créé un univers entier fut une totale joie pour l'amoureuse des littératures de l'imaginaire que je suis. En effet, si les auteurs français du genre pâtissent de l'image caricaturale et populiste que la littérature sf se traine encore dans notre beau pays, nombreux sont les auteurs ayant produit des ouvrages d'une grande qualité... Citons entre-autres Barjavel, Boule, Bordage, Douay, Damasio, Dufour etc. 

Dans un deuxième temps, le très bon texte didactique proposé par Eric Darsan, rendant moins rugueuse et hermétique l'approche des écrits de Jacques Abeille. Soulevant les voiles pour que vous y jetiez un regard émerveillé ou interloqué sans jamais totalement dénuder la mariée, il réussit le tour de force de proposer un guide touristique de l’œuvre d'un écrivain sans le vandaliser pour autant. 

Enfin, la mise en abîme de ce texte par les œuvres du collectif Les 400 coups, ouvrant à la poésie d'une œuvre est un délice. Éminemment poétiques, chacune de ces sérigraphies donne un avant gout des traces mémorielles que laisseront potentiellement les mots. 

Pour couronner cette fête littéraire, la découverte du concept qu'ont imaginé les artistes du collectif et la maison d'édition Le tripode, ainsi que l'existence de deux précédents ouvrages procédant de la même intention ; faire découvrir un auteur et son œuvre au travers de l’alliance des mots et des formes. 

Artbook de ce qui se fait de mieux dans l'édition, cadeau pour chaque lecteur lassé des formats et couvertures stéréotypés par le merchandising, Le monde des contrées est une pause gourmande et stimulante ouvrant sur d'autres horizons... 
Un objet de sf, donc, en soi ? 

En conclusion;

 Une œuvre entière de plus dans ma PAL (pile à lire), et un très bel objet peuplant de son beau ramage mes rayonnages. Paraissant au rythme d'une publication par an, je suivrai avec plaisir et curiosité les production du collectif Les 400 coups aux éditions Le tripode  !  

Quelques œuvres de Jacques Abeille







mercredi 11 mai 2016

L'arbre du pays Toraja de Philippe Claudel


 La mémoire et le langage agissent, malgré moi, comme des recadrages d'une réalité qui a indubitablement existé mais qui appartient à un passé qui s'éloigne. Je me rends compte qu'écrire est une inhumation qui ensevelit tout autant qu'elle met de nouveau au jour


Si vous ne lisez que ces lignes;

Un livre sur la mémoire et la mort, qui pose la question de la place du vivant dans nos vies. A la mémoire d'un ami, un homme continue d'écrire sa vie d'adulte commencée à quatre mains. Mais comment ne pas en faire un mausolée ? Comment devenir un arbre Toraja qui porte en son cœur les morts tout en signifiant de toutes ses fibres le vivant ?  

  Non, ma peur ne provient pas d'une absence de connaissances, mais d'un trop-plein, et je crains bien entendu davantage la disparition de ceux qui m'entourent que la mienne, ce qui n'est pas comme on pourrait le croire de l'égoïsme, mais sa forme la plus achevée.


Philippe Claudel 

Philippe Claudel est agrégé de lettres modernes et a consacré une thèse à André Hardellet sous le titre Géographies d'André Hardellet . Très attaché à la Lorraine où il est né et réside toujours, il est maître de conférences à l'Université de Lorraine au sein de laquelle il enseigne à l'Institut Européen du Cinéma et de l'Audiovisuel, en particulier l'écriture scénaristique. 

Philippe Claudel a également été professeur en prison et auprès d'adolescents handicapés physiques.

Il intègre l'Académie Goncourt le au couvert de Jorge Semprún.  Fait Doctor Honoris Causa de l'Université catholique de Leuven le lundi 2 février 2015, il est élu membre de l' Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en avril 2016, au siège d'Assia Djebar.

Enseignant et écrivain (premier roman paru en 1999), il est aussi réalisateur ("Il y a longtemps que je t'aime" en 2008) et directeur d'éditions (depuis 2004, il dirige la collection ecrivin chez Stock).

Il a reçu le prix Marcel Pagnol en 2000 pour "Quelques uns des cents regrets", le prix Renaudot (2003) pour "Les âmes grises", le prix Goncourt des lycéens (2007), le Prix des libraires du Québec (2008) et le Prix des lecteurs du Livre de poche (2009) pour "Le rapport de Brodeck", le Prix Jean-Jacques Rousseau de l'autobiographie (2013) pour "Parfums".

II est marié et papa d'une petite fille.

Ses principaux romans sont traduits dans le monde entier.
 

 Le pitch

Qu’est-ce que c’est les vivants ? À première vue, tout n’est qu’évidence. Être avec les vivants. Être dans la vie. Mais qu’est-ce que cela signifie, profondément, être vivant ? Quand je respire et marche, quand je mange, quand je rêve, suis- je pleinement vivant ? Quand je sens la chaleur douce d’Elena, suis-je davantage vivant ? Quel est le plus haut degré du vivant ? 

Un cinéaste au mitan de sa vie perd son meilleur ami et réfléchit sur la part que la mort occupe dans notre existence. Entre deux femmes magnifiques, entre le présent et le passé, dans la mémoire des visages aimés et la lumière des rencontres inattendues, L’Arbre du pays Toraja célèbre les promesses de la vie.

Une causerie passionnante au sujet de son roman en vidéo ici.

 Poursuivre sa vie quand autour de soi s'effacent les figures et les présences revient à redéfinir constamment un ordre que le chaos de la mort bouleverse à chaque phase du jeu. Vivre, en quelque sorte, c'est savoir survivre et recomposer.


Ce que j'en ai pensé


Remarquable et majestueux, il se dresse dans la forêt à quelques centaines de mètres en contrebas des maisons. C'est une sépulture réservée aux très jeunes enfants venant à mourir au cours des premiers mois. Une cavité est sculptée à même le tronc de l'arbre. On y dépose le petit mort emmailloté d'un linceul. On ferme la tombe ligneuse par un entrelacs de branchages et de tissus. Au fil des ans, lentement, la chair de l'arbre se referme, gardant le corps de l'enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée. Alors peu à peu commence le voyage qui le fait monter vers les cieux, au rythme patient de la croissance de l'arbre. 

Mis à distance de sa propre vie par la mort d'un ami qu'il estimait être une partie de lui, un cinéaste rencontre la double focale si chère aux sciences humaines. Double distance du micro et du macro, de l'identification essentielle pour comprendre de l'intérieur et de l’étrangeté au sujet pour en comprendre les rouages extérieurs

Voici donc un livre de méditations, fine ramification Descartienne, ce roman est une marche lente sur les cheminements de la vie permettant au lecteur-promeneur d'y saisir tel éblouissement ou tel réflexion profonde. Chaque chose y étant posée afin de pouvoir potentiellement faire impression sur le lecteur à la manière fine et délicate mais aussi puissante qu'un paysage, que l'envol d'un oiseau, qu'un  souffle se givrant dans une étendue enneigée, chacun y trouvera des pistes le menant à ses vérités propres, au sens de Wittgenstein. 

Un livre à lire et relire donc, changeant au grès des saisons de nos vies, miroir faisant réfléchir son contemplateur à l'image d'une nature constante dans ses cycles de changements.  

L'arbre du pays Toraja est donc, certes, un livre parlant de la mort et construit à partir d'un événement la concernant, mais qui, à contrario, porte sur l'inverse de celle-ci dans nos sociétés, à savoir la vie, intégrant la réalité temporelle et biologique s’inscrivant dans nos mémoires afin d'y donner du sens ; la fin de tout être et de toute chose.  

Redonner une place juste à la mort dans nos vies participerait du fait de redonner un sens et une dimension juste à la vie et aux individus. Taboue, effrayante, laissant démunis et claquemurés dans le silence ceux qui y sont confrontés, la mort est devenu le stigmate des malchanceux à la loterie, des vieux et des improductifs. Qu'est ce à dire sur la place des vivants, alors ?

Faire le deuil, accepté sa finitude pour embrasser une immensité plus vaste qui est celle de l'humanité et de nos ramifications, voilà la belle proposition que j'y ai rencontré. Déjà, dans Mille plateaux (capitalisme et schizophrénie), Deleuze et Gattari critiquaient notre société construite sur l'homme parfait au corps creux Nietzschéen, négation des réalités biologiques et temporelles, éloge d'une éternelle jeunesse pour laquelle l’horloge se serait arrêtée.

Loin d'un projet sociétal ou de prétentions  voulant asséner une vérité unique et facile, ce roman propose une piste, une voie, à chacun et chacune pour planter ou être sa propre foret Toraja. Un roman d'Ursula le Guin décrit à merveille une société où chaque individu est le porteur des mémoires et où l'oubli est la mort réelle des individus ; Le dit d'Aka. Ainsi la place et la distance que nous accordons à nos être chers disparus, voir même à nos enfants morts-nés à l'image d'une des protagonistes du roman, est questionnée.  

D'une plume élégante et fluide, Philippe Claudel sert ici une méditation romancée, posant un prisme à travers lequel examiner nos vies. Cadeau précieux, s'adaptant à son lecteur, L'arbre du pays Toraja traite un grand nombre de faces à la fois de la montagne de la vie, dessinant les multiples cordées qu'y sont nos vies.

Nous autres vivants sommes emplis par les rumeurs de nos fantômes. Notre chair et la matière de notre âme résultent de combinaisons moléculaires et du tissage complexe de mots, d’images, de sensations, d’instants, d’odeurs, de scènes liés à celles et ceux que notre existence nous a fait côtoyer de façon passagère ou durable.

En résumé... 

Les plus;
  • Un roman où chacun pourra piocher ou rencontrer des éléments à méditer,
  • une écriture fluide et belle,
  • un témoignage sous forme de méditation romancée sans  prêche,
  • un très bel objet édité par Stock, agréable au toucher, de qualité et beau.   
Les moins;   
  • Un roman somme-toute personnel, basé sur des idées et vécus (d'homme, d'alpiniste, de cinéaste, de relations de couple) qui peut procéder d'une mise à distance et d'un manque d'identification (mais est-ce réellement négatif ?). Pour ma part j'ai eu le sentiment d’intégrer un peu du héro dans ma "forêt".

 

En conclusion;

Un roman où le récit, s'il est le fil conducteur, n'est que le squelette sur lequel viennent s'articuler des méditations sur le sens et la place de la vie, de la mort et de la mémoire. Porté par une écriture fluide, L'arbre du pays Toraja propose des pistes de réflexion que chacun selon ses sensibilités et vécus trouvera et suivra ou pas selon sa guise. Une belle randonnée à tous !

Le remords, le temps, la mort, le souvenir ne sont que les différents masques d'une expérience qui n'a pas de nom dans la langue, et qu'on pourrait au plus simple désigner par l'expression -usage de la vie- .Quand on y pense, toute notre existence tient dans l'expérimentation que nous en faisons. nous ne cessons de nous construire face à l'écoulement du temps, inventant des stratagèmes, des machines, des sentiments, des leurres pour essayer de nous jouer un peu de lui, de le trahir, de le redoubler, de l'étendre ou de l'accélérer, de le suspendre ou de le dissoudre comme un sucre au fond d'une tasse.


Cités dans cet article  









dimanche 1 mai 2016

38 mini westerns (avec des fantômes) de Mathias Malzieu

Elle était née d'un roulis de nacre. Quelque part dans ce monde, une mer craquelante et lumineuse déferle tout en nacre et, de ces remous, s'échappe de temps à autre ce que l'on appelle une "fée-lustre".


Si vous ne lisez que ces lignes;

Voici des brico-collages de mots, de rêves et d'images. Entre la nouvelle et la poésie, des envolées de pensées comme des étourneaux sur un champ en été. Petits textes compilés agrémentés de polaroids illustrant les personnages burlesques, voici une porte magique donnant sur la fabrique à rêves de Mathias Malzieu.

Pleine lune, les nuages trempent dedans comme d'incroyables tartines bleutées. On dirait des morceaux d'océan coagulés dans le ciel. 


Mathias Malzieu

Mathias Malzieu est le chanteur du groupe de rock français Dionysos et un écrivain français.

En 1993 il est rejoint par trois de ses copains du lycée (Eric Serra Tosio, Mickael Ponton et Guillaume Garidel), avec lesquels il formera le groupe Dionysos (la chanteuse et violoniste Babet les rejoindra en 1997).

En plus des nombreux disques et concerts de son groupe, il a écrit un recueil de nouvelles 38 mini westerns avec des fantômes et deux romans. Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi a été écrit après le décès de sa mère et en l'honneur de sa sœur Lisa, et a inspiré l'album "Monsters in Love". Il a été suivi le 24 octobre 2007 par La Mécanique du cœur, dont on retrouve des éléments de l'histoire dans l'album musical du même nom.

Le 1er avril 2011 est publié son roman Métamorphose en bord de ciel qui va permettre d'inspirer quelques chansons de l'album Bird 'n' Roll de Dionysos sorti le 26 mars 2012.

En 2013, il a publié Le plus petit baiser jamais recensé et L'Homme volcan.

Le 5 février 2014 sort Jack et la Mécanique du cœur, un film d'animation français en images de synthèse réalisé par Stéphane Berla et Mathias Malzieu. Le film est inspiré par le livre La Mécanique du cœur de Mathias Malzieu et par l'album éponyme de Dionysos. 
Son dernier roman, Journal d'un vampire en pyjama, retrace sa lutte contre une maladie auto-immune avec poésie, humour et amour. 

 Une délégation de faiseurs de surprises Kinder a été envoyée en Islande dans le but de récupérer des elfes. En effet, le potentiel "magie" des Kinder Surprise serait multiplié au moins par deux si ceux-ci devenaient vivants. 


Le pitch  
Mathias Malzieu est...
Mathias Malzieu est un Petit Prince en anorak. Mathias Malzieu est un homme de goût (il aime les films de Tim Burton, les livres de Richard Brautigan et les disques de Johnny Cash). Mathias Malzieu est un poète. Mathias Malzieu est le chanteur de Dionysos, un groupe de rock qui n'arrête pas de faire des bonds pour avoir la tête dans les nuages et décrocher les étoiles. Mathias Malzieu est un enfant qui a beaucoup appris des grandes personnes.

Mathias Malzieu est un pionnier du mini-western: les rêves sont sa frontière.


Stéphane Deschamps - Les inrockuptibles.

 

Ce que j'en ai pensé

Willy Wonka de son propre monde, Mahtias Malzieu vous propose ici un ticket d'or pour y entrer. Pass VIP, prenez donc place dans les nacelles se baladant d'une courte nouvelle à une autre, dévoilant des continents du rêve peuplés de fées-lustres, de chercheurs d'elfes pour kinder surprises, de fantômes et d'écureuils, de sirènes et femmes-neige, de longboards magiques, et même d'une certaine Jessie Caramel. 

Entre mythologie intime et mise en métaphores du monde et des ressentis, 38 mini westerns (avec des fantômes) se situe comme un cousin éloigné des nouvelles de Dino Buzzati. Avec humour, Mathias Malzieu nous parle des joies intenses et des déboires de l'être hypersensible, du créatif, de la vie "en décalage" de qui a un pied dans chaque pays ; celui du réel et celui des rêves. 

Sensible et imaginatif, ce petit opus peut se dévorer comme un kinder surprise ou se déguster comme un bonbon au caramel de poésie. Court, peut-être trop, l'ouvrage donne des envies "d'encore".

Reste que le ton est juste, que l’honnêteté désarmante  de l'auteur y est rafraichissante, et que certaines thématiques abordées ne sont pas aussi légères que d'autres. Ainsi, les chagrins d'amour, la dépression, la déshumanisation des rapports humains y sont rapportés comme autant de colères, incompréhensions ou simples "cactus" dans la dure et froide réalité

Il y a un Léo Ferré  amoureux des barbes à papa chez Mathias Malzieu, un gout de cri de révolte souhaitant mettre des pommes d'amour dans les cœurs et du nutella dans les gestes. Un anarchiste tendre criant son amour de la vie, un de ceux qui voudraient mettre dans des bouteilles à sensations ses instantanés de vie afin de les partager.  

Voici donc une bouteille jetée à la mer et bien reçue ! Allez-donc chez votre dealer de livres habituel en trouver un flacon !  

Aujourd'hui encore, en plein jour, en plein centre-ville, il m'arrive de ressentir ce frisson glacé et j'ai cet arrière-gout de lune acre coincé entre les dents. 
Les loups ont juste changé d'apparence. 
Il se sont modernisés, électrifiés, urbanisés, blanchis, cravatés et malgré leur haleine chargée de mazout, conséquence du pétrole qu'ils ont dans le sang, on les discerne encore plus mal au milieu de l'effervescence de la rue que dans une pinède un soir d'hiver...


En résumé... 

Les plus;
  •  Poétique, livrant une vision métaphorique du monde,
  • emplit d’émotions intenses allant de la tendresse à la colère
  • abordant avec délicatesse et mettant en image la difficulté d'être un hypersensible et/ou un artiste.
Les moins;   
  • Très (trop) court, malheureusement,
  • peu-être trop prosaïques par moments, ou "pas assez écrit" pour certains lecteurs.  


En conclusion;

 Un petit tour du monde interne de Mathias Malzieu, délirant et tendre à souhait. Trop court à mon gout, 38 mini westerns (avec des fantômes), second ouvrage que je lis de l'auteur (après Journal d'un vampire en pyjama), m'a cependant donné encore un peu plus l'envie de lire et d'écouter les créations de cet artiste touche à tout.

Mélancolie ou dépression, ils appellent ça comme ça, en terme médical. Plus on s’enfonce, plus c'est difficile d'en revenir. Parfois, cette mélancolie s'adoucit et le goudron opaque se fait plus onctueux, chocolaté presque, avec quelques reflets de nacre ici et là. On pense que ça y est, on est revenu, on croit que l'on est de retour sur le continent-hémisphère des rêves, mais ce n'est pas la réalité (non plus). Ce n'est qu'un habitant du pays des rêves qui a jeté ses poubelles de songes en retournant au pays de la réalité. 

cités dans cet article