mercredi 3 février 2016

Un lieu à soi de Virginia Woolf

Sans confiance en nous, nous sommes comme des bébés au berceau. Et comment pouvons-nous générer au plus vite cette qualité aussi impondérable qu'inestimable ? En pensant que d'autres gens sont inférieurs à nous. 


Si vous ne lisez que ces lignes;

Un texte magnifique, incroyablement moderne posant des questions d'une actualité brulante. Portant sur la création littéraire féminine, mais également son indépendance, c'est un essais explorant des questions cruciales sur la société et les rapports entre genres extensible à toutes les catégorisations du genre humain dans nos sociétés. 

Les femmes, durant tout ces siècles,  avaient servies de verres grossissants dont le magique et délicieux pouvoir réfléchissait la silhouette naturelle d'un homme en multipliant sa taille par deux. 

Virginia Woolf 

Virginia Woolf (Adeline Virginia Alexandra Stephen - ) est une femme de lettres anglaise, l'une des principales auteures modernistes du XXe siècle, et une féministe.

Pendant l'entre-deux-guerres, elle fut une figure marquante de la société littéraire londonienne et un membre central du Bloomsbury Group, qui réunissait des écrivains, artistes et philosophes anglais. Les romans Mrs Dalloway (1925), La Promenade au phare (1927) et Orlando (1928), ainsi que l'essai Une chambre à soi (1929) retraduit par Marie Darrieussecq et parut sous le titre Un lieu à soi aux éditions Denoël, demeurent parmi ses écrits les plus célèbres.

Bisexuelle, heureuse dans son mariage ainsi que dans ses liaisons amoureuses féminines, Virginia Woolf était un esprit libre réfléchissant avec recul aux conventions et codes sociaux et moraux, livrant dans ses écrits des analyses fines et éclairantes. 

Les époux Woolf  travaillaient ensemble en tant qu'éditeurs et fondèrent en 1917 la Hogarth Press qui publia la plupart des œuvres de Virginia Woolf.

Woolf souffrait d'importants troubles mentaux et présentait tous les signes de ce qu'on nomme aujourd'hui trouble bipolaire  ; en 1941, à l'âge de 59 ans, elle se suicida par noyade dans la River Ouse, près de Monk's House, dans le village de Rodmell, où elle vivait avec son mari Leonard Woolf.

Elle remplit ses poches de pierres et se jette dans la rivière Ouse, près de Monk's House, sa maison de Rodmell. Elle laisse une note à son mari : « J'ai la certitude que je vais devenir folle : je sens que nous ne pourrons pas supporter encore une de ces périodes terribles. Je sens que je ne m'en remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et ne peux pas me concentrer. Alors je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu m'as donné le plus grand bonheur possible... Je ne peux plus lutter, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. [...] ». 
 
Son corps sera retrouvé trois semaines plus tard, le 18 avril. Leonard Woolf enterrera ses cendres dans le jardin de Monk's House. « Virginia a pris sa décision en toute conscience », dira la musicienne et poète Patti Smith dans un dossier du Magazine littéraire consacré à Virginia Woolf, « elle ne s'est pas précipitée vers la rivière Ouse, elle y est entrée résolue. Elle a choisi de mettre fin à sa vie comme elle l'avait menée, en esprit libre et indépendant ».

 Personnalité complexe, fascinante, ayant légué une œuvre riche encore sujette à de nombreuses analyses, Virginia Woolf fascine et interroge.  Ici quatre émissions de France Culture lui sont consacrées, ici un article sur son rapport à la mort par Le Monde, ou encore ici un très joli article sur cette grande écrivaine dans Le Salon Littéraire.

Écrivez ce que vous désirez écrire, c'est tout ce qui importe, et nul ne peut prévoir si cela importera pendant des siècles ou pendant des jours. Mais sacrifier un cheveu de la tête de votre vision, une nuance de sa couleur, par déférence envers quelque maître d'école tenant une coupe d'argent à la main ou envers quelque professeur armé d'un mètre, c'est commettre la plus abjecte des trahisons.

Le pitch 

Un lieu à soi rassemble une série de conférences sur le thème de la fiction et des femmes que Virginia Woolf prononça en 1928 à l'université de Cambridge. Ce vaste sujet a donné naissance à une tout autre question, celle du lieu et de l'argent, qui donne son titre à l'essai : «Une femme doit avoir de l'argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction.» À la manière d'un roman, et s'appuyant sur l'histoire littéraire, Virginia Woolf retrace ainsi le cheminement qui l'a conduite vers cette célèbre thèse, qui reste incontournable de nos jours.

Chef-d’œuvre de la littérature féministe, Un lieu à soi brille d'un nouvel éclat sous la plume de Marie Darrieussecq. Jouant de l'humour et de l'ironie de Virginia Woolf, cette traduction propose une remise en perspective essentielle de la question de l'écriture et des femmes au sein de la littérature contemporaine.

Ce que j'en ai pensé

Les mots de Virginia Woolf sont comme ces fleurs sauvages que nous ramassons, vaincus par la tentation d'en posséder un morceau. Pareils aux coquelicots ils fanent vite sortis de leur contexte, perdant leurs subtils éclats dans les soliflores. Ainsi est la pensée de Virginia Woolf ; vive, sauvage, aux reflets multiples et changeants suivant que le ciel de nos pensées soit ensoleillé ou orageux. Choisir des citations de ses écrits est un exercice frustrant car celles-ci ne seront que pâles reflets de la pensée vibrante et vivante immergée dans son flot continu mouvant.  

Un lieu à soi est une promenade à pied dans la réflexion que mène l'auteure sur les moyens nécessaires à l'apparition d'une littérature féminine, totale dans sa liberté d’expression et sa forme. Ainsi, posséder un lieu à soi, physiquement et socialement par le biais de l'émancipation financière est fondamental, mais est également le point de départ pour la possession d'un lieu à soi mental et moral. La colère et la mise en opposition avec les hommes est ainsi une des limites formant le carcan qui emprisonne ou détruit la créativité féminine dans la pensée de Virginia Woolf. 

Écrit en 1928, Un lieu à soi permet également de mesurer les avancées sur ce sujet; certes l'émancipation féminine et le travail de celles-ci est normalisé dans notre société (malgré les différences de carrières et de salaires), certes il ne me serait jamais venu à l'idée de classifier ma bibliothèque par sexe des auteurs comme le fait (fictivement ou pas) Virginia Woolf. Reste que nombre de femmes sont encore les loupes grossissantes d'hommes, que les noms d'hypothétiques compositrices de musique classique nous sont inconnus (qui connait Germaine Tailleferre ?), et que la plupart des personnages féminins dans les œuvres de fictions ne se définissent que dans leurs rapports aux hommes... Constat mitigé donc, que Virginia Woolf imputerait aux femmes elles-même. 

Ayant inspiré les scientifiques, Virginia Woolf reste l'amorce de nombreuses réflexions ayant fait bouger le monde des idées; de Judith Bulter et ses gender studies et notamment Trouble dans le genre à Pierre Bourdieu dans La domination masculine, ou encore ses réflexions sur les classes sociales, le droit de non-procréer, ou la liberté sexuelle, les œuvres de Virginia Woolf sont un cœur fécond d'où émergent encore des pistes d'évolution pour les rapports des humains entre eux.

Décrivant à merveille l'enfermement mental et la construction en opposition qui découlent de toute catégorisation minorante d'une population par une autre dominante,  la réflexion de Virginia Woolf pourrait également se rapporter aux ghettos sociaux-économiques que nous avons vu fleurir au cours du vingt-et-unième siècle, ainsi qu'aux formes artistiques en ayant découlé. 

Drôle, facile à lire, poussant à la ballade à ses cotés dans notre propre époque, Un lieu à soi est un plaidoyer philosophique, à la manière de ceux de Platon telles que Le banquet ou La république, invitant divers personnages dans la semi fiction, permettant d'aborder une pluralité de points de vues et de destins. Forme éminemment antique et masculine, le discours philosophique est ici déguisé en conférences destinées à une assemblée féminine, bien que l'auteure ait eu (sans aucun doute) des visées sur l'agora.

Ayant porté jusqu'à nos jours, faisant écho sur les parois de notre place dans la société, Un lieu à soi est un ouvrage apportant encore une réflexion vivifiante et utile, éminemment moderne.

Avez-vous une idée du nombre de livres écrits sur les femmes au cours d'une seule année ? Avez-vous une idée du nombre d'entre eux qui sont écrits par des hommes ? êtes-vous conscientes d'être, sans doute, l'animal dont on parle le plus dans l'univers ? 
 

En résumé... 

Les plus;
  • une écriture légère et drôle, un brin ironique, 
  • des réflexions poussant au questionnement sur la place de la femme de nos jours ainsi que sur les rapports entre genres,
  • une description de l'enfermement mentale et social que voit naitre toute catégorisation d'une population.
 Les moins;  
  • Un brin désuet par moment, narrant des mœurs aisés d'un autre temps, le récit semble s'encombrer de détails pourtant récupérés, au final, dans l'argumentaire.  
Ce dépouillement, ce manque de souffle, étaient peut-être le signe qu'elle avait peur de quelque chose; peur d'être qualifiée de "sentimentale" ? Ou peut-être se rappelle-elle qu'on a qualifié l'écriture des femmes de fleurie, et produit-elle donc une abondance d'épines ? 
 
 

En conclusion;

Devenu un classique de par son son contenu, Un lieu à soi est un texte qui, sous des dehors anodins et mondains s'est voulut comme tel, l'auteure lui ayant donné la forme des cours philosophiques antiques. Intemporel par le fond des réflexions menées, déguisé en amuse-bouche mondain, Virginia Woolf y fait une démonstration magistrale et toute en finesse de son immense génie littéraire. 

Arrêtes-toi pour les maudire et tu es perdue, lui dis-je; idem si tu t'arrêtes pour rire.  


cités dans cet article 

 






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