mercredi 16 septembre 2015

Niourk de Stefan Wul

Des baleines échouées depuis cinq cents ans entre les îles Cuba, Haïti et Jamaïque, quand la Terre s’était brusquement asséchée, quand les continents, transformés en montagnes, dominèrent l’immense dépression atlantique réduite à quelques lacs saumâtres peuplés de monstres ; quand de vastes prairies d’herbes malsaines, coupées tantôt de désert, tantôt de marécages, unirent les hauteurs neigeuses d’Amérique au bloc eurafricain. 

 

Si vous ne lisez que ces lignes;

Classique de la sf, roman initiatique, commençant a une ère où l'humanité, ou ce qu'il en reste, est revenue à l'age de pierre, Niourk est un monument des débuts de la science fiction française. Incroyablement d'actualité de par se thèmes abordés, intemporel dans son style littéraire, Niourk est à connaitre, découvrir, ou redécouvrir.  

Aux temps éloignés où l'océan couvrait la plus grande partie de la terre, où seuls émergeaient les massifs élevés d'Usa, de Cuba, de Haït, d'Eurafrique, ce tube avait été construit par les hommes. Ce n'était qu'un extraordinaire vide-ordures. Des déchets dangereusement radioactifs étaient englobés dans des sphères de béton plombé qui, chassés par pression, roulaient dans le tube jusqu'à des fonds marins de six mille mètres au milieu des monstres des grandes profondeurs, là où régnait une nuit froide striée de poissons luminescents.  


Stefan Wul 

Né en 1922 à Paris, il met de côté ses ambitions littéraires le temps de devenir chirurgien-dentiste et de s’installer en Normandie. Mais en 1956, Stefan Wul apparaît,  (nom d’un savant soviétique d’origine mongole  choisi au hasard dans un numéro de Science & …). Également connu sous un autre nom de plume : Lionel Hudson, le temps de onze romans parus dans la mythique collection Anticipation chez Fleuve Noir, Wul s’impose comme un météore qui va illuminer le ciel de la science-fiction française pour les décennies à venir. En quelques années il livre onze romans, parus au Fleuve Noir [collection "Anticipation"]. Onze romans qui restent aujourd’hui comme autant de classiques de la SF française.
 
Du point de vue de la méthode, Stefan Wul a toujours déclaré travailler sans plan ni ligne directrice, partant d'une simple idée de départ développée peu à peu au fil de l'écriture. Nombre de ses chutes surprenantes ne lui sont venues qu'en cours de rédaction, sans préméditation. Parlant de science-fiction, Stefan Wul avait une approche artistique proche de la peinture, affirmant ne s'intéresser qu'aux univers sensibles, faits d'odeurs, de couleurs, de formes, de paysages et d'animaux merveilleux :
 
La magie des décors et de l'ambiance évoquée par la musique, voilà ce qui m'inspire, je crois. Et tout le reste est accessoire. Le livret d'opéra, je m'en fiche éperdument ; ce qui m'intéresse, ce sont les cymbales, une ambiance, voilà, un climat

Après une longue période de silence de dix-huit ans, Stefan Wul livre son dernier roman en 1977 avec Noô, créant ainsi une dernière fois l'événement.

Niourk, Oms en série (adapté au cinéma par René Laloux sous le titre La Planète sauvage), L’Orphelin de Perdide (lui aussi adapté sur grand écran sous le titre Les Maîtres du temps, avec le trait cette fois de Moebius), et enfin Noô, paru en 1977, sont ses œuvres emblématiques. De nombreux écrivains et dessinateur se réclament aujourd’hui de son influence. Pairault s’est éteint en 2003.

 Un jour, ma femme était en train de lire un roman de science-fiction, je ne me souviens plus du titre, donc je ne ferai de peine à personne, même si je le voulais ! Et elle m’a dit : Nom d’un chien, ce que c’est mauvais ! Tu devrais essayer, tu ferais bien mieux ! Et alors, sur une crise de fantaisie, j’ai laissé tomber mon essai de roman policier, j’ai arraché toutes les feuilles du cahier sur lesquelles j’avais griffonné déjà, je les ai jetées à la poubelle et je me suis mis au travail sur ce cahier vierge, en disant à ma femme : Je vais t’écrire un roman de SF, et celui-là sera bon !
 F. TRUCHAUD : “Rencontre avec Stefan Wul”, in Galaxie n°80 (1971), p. 141


 Le pitch  

La Terre n'est plus qu'un vaste désert. Des monstres engendrés par d'antiques technologies radioactives hantent ce qu'il reste des océans - quelques lacs d'eau saumâtre, rien de plus. Dans ce monde âpre, un enfant noir, rejeté par tous les membres de sa tribu, se met en route vers Niourk, la ville mythique, peuplée de fantômes. Au bout de cette quête se trouve peut-être le moyen de redonner vie à notre Terre assassinée.

 - Que les chasseurs ne craignent rien, dit-il, l’ours est l’ami de l’enfant noir.
Et il resta debout, une main posée sur l’échine de la bête, tenant de l’autre une arme étranger et brillante. Une blessure en séton saignait sur sa cuisse. Le grand chapelet de vertèbres était passé trois fois autour de son torse mine.



Ce que j'en ai pensé

Lu sur les recommandations de mon compagnon, j'ai découvert Niourk sans aucune connaissance de son auteur ni de sa place dans le cœur des amoureux de sf.  Cependant, je ne peux qu’adhérer à leurs éloges et leurs analyses.

Niourk commence comme un roman initiatique postapocalyptique ; la terre est ravagée, l'humanité l'a quittée depuis longtemps, et seuls quelques humains vivent au sein d'une tribu rapellant fortement la logique et les comportements de La guerre du feu, ou d'un roman d'Auel...

Agréable et facile à lire, Niourk propose une immersion totale dans ce monde ravagé. Au travers des yeux de l'enfant noir, Stefan Wul utilise habilement la naïveté de son héro pour immerger le lecteur et le faire adhérer aux différentes étapes du récit. Rythmé, possédant une mélancolie lancinante, l'humanité n'y est plus qu'un filet de fumée sur le point de s'éteindre, quand d'autres espèces intelligentes ainsi que l'hostilité du monde revenu à un état sauvage la repoussent dans ses derniers retranchements... 

Seul noir de toute la tribue, détesté par le vieux y faisant office de chaman, craint par les autres, un enfant fera la différence. Traçant son histoire, Niourk fait faire au lecteur grâce à ce courageux et attachant petit personnage toute l’évolution de l'humanité en quelques 200 pages, évolution tant sur les plans techniques et technologiques, qu'anthropologiques ou philosophiques. Ainsi, le besoin de rituels pour ses morts, l’éthique technologique, les méthodes de chasse, la domestication du monde sauvage, la déshumanisation de la procréation assistée ou encore les bouleversements climatiques entrainant des changements de faunes et de flore; autant de sujet que certains qualifieraient de "modernes"... 

A la croisée des romans de Barjavel, Bordage, Baccigaluppi, Moorckok, K. Kick, Zelasny, Azimov, Le Guin, et j'en passe, Niourk est une pierre angulaire de la science fiction tant ses thèmes semblent être le terreau des grands auteurs du genre. Remplissant pleinement la fonction philosophique des bons romans de science fiction, Niourk est également un roman parfaitement abordable par un public plus jeune, permettant à chacun d'y trouver son lot d'aventures et de réflexions. 

- L’ennui avec vous, c’est que vous vous croyez supérieurs parce que vous êtes nés dans un bocal, d’un ovule fécondé par une étincelle. Parce que je suis sexué, parce qu’une mère m’a donné le jour, vous me prenez pour un animal. Vous vous décernez à vous-mêmes le titre d’Homo superior. En fait, vous n’êtes pas des hommes, vous êtes des robots…
Il leva la main pour empêcher le doc de parler.
- Oui, je sais bien, j’exagère. Je veux dire que
vous vous acheminez vers une civilisation de robots. Vous avez aboli la conception naturelle ; de siècle en siècle, vous abolirez une autre chose, puis une autre encore. Vous ne serez plus des hommes. Vous voulez monter très haut dans la puissance, mais vous n’avez gardé aucun point d’appui, vous avez eu tort de couper vos racines. Voyez-vous, je suis déjà monté plus haut de vous, mais ma personnalité s’étend de l’animal jusqu’à l’Homo multipotens. La vôtre ne va que de l’Homo artificialis à l’Homo superior. Ce serait à moi de vous mépriser, si j’étais encore capable de mépriser quelqu’un.


En résumé... 

Les plus;
  • Un roman initiatique et d'aventure abordable tant par un jeune publique qu'attrayant pour un public adulte,
  • Un récit rythmé, plein de rebondissements et aux personnages attachants,
  • un roman aux composantes et réflexions étonnamment modernes,
  • un réel monument de la science fiction, française de surcroit.

Les moins;   
  • Un texte légèrement trop court, qu'une immersion dans ses adaptations en bandes dessinées rattrape peut-être.
Toutes ces idées, maladroitement exprimées par un langage mental incomplet, lui avaient traversé la tête en un éclair. Depuis quelques jours déjà, il était sujet à ces crises de lucidité aiguë qui lui donnait un sentiment de puissance exaltante. Ces pensées n’auraient rien eu d’extraordinaire chez un civilisé de son âge, mais, dans un cerveau totalement inculte, elles marquaient un génie effrayant.

En conclusion;

 A la hauteur d'un roman du cycle de l'ecumen d'Ursula Le Guin, Niourk n'usurpe pas sa réputation de classique de la science fiction. Empli des thématiques chères à ce genre, composant un récit tenant en haleine et jouissif à lire, Niourk est un véritable coup de cœur que je suis fière d'avoir dans ma bibliothèque !

La pensée n'est qu'un ensemble complexe de micro-contractions musculaires ou micro-sensations musculaires. Et même si vous pensez un mot abstrait, ce n'est jamais que la micro-formation rapide et inconsciente de ce mot par les muscles linguaux qui constitue votre pensée même. 

cités dans cet article



Niourk en Bande dessinée ;





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