vendredi 25 juillet 2014

L'empailleur de rêves (Hautes berges, lourdes grumes) de Nikom Rayawa

-Je voudrais pouvoir les empailler vraiment, ces foutues journées, pour qu'elles s’arrêtent une bonne fois, dit-il à Madjane, avant de faire demi-tour et de descendre.
Elle le regarda disparaitre, abasourdie.


Si vous ne lisez que ces lignes;

Une leçon de vie, le long de la Yom, un des quatre principaux affluents du Djâo Praya, fleuve symbole de la Thaïlande. La vie de Cam-Ngaï, tour à tour empailleur, sculpteur, cornac, charrieur de grumes au long du fleuve qui l'a vu naitre et le verra mourir... Une vie s’égrenant au fil du fleuve de la vie et des leçons qu'elle recèle, où l'homme et l'éléphant sont des jumeaux de vie... 

Nikom Rayawa

Né en 1944 à Hat Siao, province de Sukhothai (Thaïlande), Nikom Rayawa a étudié l'économie à l'Université Thammasat de Bangkok, puis dirigé une plantation de palmiers à huile et de cacaotier. 

Très jeune, il s'est fait connaître en publiant des nouvelles et des poèmes. 

Son premier roman, Takouap Kap Koppou L'iguane et la branche pourrie (non traduit en français), paru en 1983 et aussitôt primé par un jury national, rend compte de la réalité du Sud profond dans les turbulentes années 1970-80.

Son roman L'Empailleur de rêves,"Taling Soung Soung Nak", traduit en plusieurs langues, couronné par un jury national dès sa parution en 1984, l'a fait connaître à l'étranger. Son style minimaliste qui contraste avec la tradition thaïlandaise par sa simplicité et son réalisme, fait de lui le premier romancier « bouddhiste occidental ». 

Au cours de ses deux dernières années d'université et pendant trois ans encore, Nikom publiera dans divers magazines une dizaine de nouvelles, qu'il réunira beaucoup plus tard, après son mariage et le succès de son premier roman, en un volume intitulé Kone Bone Tone Maï (L'Homme dans l'arbre), qui sera primé.

Pour moi, écrire, c'est aller à l'essentiel, sans fioritures. J’essaie d’écrire serré, d’éliminer toutes les phrases inutiles. 

  
Le pitch

Cam-Ngaï est né à dans un village au bord de la Yom. Entouré de son ami Boun Hân et de Plaïssoute son éléphant, il a grandit en pensant qu'ils ne seraient jamais séparés... Mais la vie, son pére et le Vieux qui emploie tout le monde au village en ont décidé autrement...

La vie à passé, et Cam-Ngaï s'est marié à Madjane et ensemble ils ont eu un petit garçon nommé Air. Construisant son foyer, il garde de loin en loin un oeil sur Plaïssoute. C'est décidé: un jour, il rachètera son éléphant. Le prenant peu au sérieux, le Vieux  accepte de lui vendre Plaïssoute contre une sculpture grandeur nature d'un éléphant. 

Au grès de sa vie, en apparence douce, Cam-Ngaï livre ses errances, ses espoirs et ses réflexions profondes emplies de logiques paysanne...

En un style épuré et méditatif, faussement simpliste, Nikom Rayawa nous livre un roman aux croisements d'Une vie de Maupassant et de Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier...  

A chacun son propre éléphant, se dit-il. A chacun sa propre sculpture. Nul ne peut la sculpter à la place d'un autre. 

Ce que j'en ai pensé

 A l'image des méandres de la rivière, de ses eaux douces ou tumultueuses, la vie de Cam-Ngaï s'écoule, tantôt paisiblement, tantôt violemment. Peau contre peau, même séparés, l'homme et l'éléphant partagent leur destin, courbes parallèles.

C'est une leçon de bouddhisme que nous livre ici Nikom Rayawa par le beau, le violent et le simple. Chaque expérience de vie est un terreau propice au héro de L'empailleur de rêves. Petits ou grands, les moments de vie ne prennent finalement toute leur ampleur que quand coeur et tête travaillent à l'unisson. 

A l'image d'un cours d'eau, le temps y fait des détours, semble parfois identique pour se révéler différent... Comme la riviére posée dans le paysage, l'histoire commence en un point vague, et se termine par un débordement de son lit: crue et décrue s'enchainent, et l'homme pareil à la bille de bois flotte ou se laisse haler. 

Une écriture épurée certes, mais servant un fond infiniment plus complexe où, comme en un haïku, la trivialité cache et mène tout à la fois aux reflets de l'âme. A l'image d'un Petit prince, il y a là une naïveté dans l'écriture qui recèle des joyaux de bon sens. 

Première expérience de la littérature thaïlandaise pour ma part, je ne peut témoigner d'une complexité généralisée chez les compatriotes de Nikom Rayawa. Pourtant je connais ce pays, du moins autant que faire se peut en 1 ans là-bas toutes périodes mises bout-à-bout...

C'est un pays de boue et d'eau, de sourires, de courage et d'abnégation aussi. Plaïssoute possède certainement ces beaux yeux gris emplis de sagesse des éléphants de cet ailleurs. Mais sortis du dépaysement, le chemin de vie reste: roman initiatique, il cache sous les frondaisons de la jungle nord-thaïlandaise une envie de comprendre le sens de la vie propre à tous les humains. Roman humaniste dans toute son acception, il y a un gout de Germinal au bétel, un relent de Contemplations à la Victor Hugo...

En effet, ce roman n'a pas pour but d'épancher les baroudeurs en mal d'exotisme ou d’appâter l'hypothétique touriste: point de pagodes, de bonzes en robes safrans, de lady-boys ou de tuk-tuks. Le périmètre se confinant au village et à la rivière, lesT intins en herbe seraient vite frustrés... Si tel est votre cas, passez votre chemins et rabattez-vous sur un guide du routard !

Entre complicité joyeuse ou face aux injustices de la vie, parfois avec des luttes presque pathétiques, Plaïssoute et Cam-Ngaï sont les reflets du vieux et de son espadon du Viel homme et la mer:  seuls eux comprennent l'absurdité de l'existence et perçoivent la tragédie de toute fin de vie.

Cam-Ngaï, âme de poète, se pensant tour-à tour poisson, oiseau, morceau de bois, éléphant ou carcasse défriche des chemins de réflexion pour le lecteur; s'y engage qui veut... Devant autant de densité pour un si petit volume, l'on comprend que Nikom Rayawa ait mis du temps à en accoucher; peaufinant le livret et tentant d'y insuffler autant de vie que possible, à l'image de l'éléphant de bois de Cam-Ngaï. 

Enfance, couple, parentalité; chaque partie de sa vie semble se laisser sculpter et épurer par un maillet dont nul mortel ne connait le but. 

La postface de Marcel Barang (barang ou farang signifiant "blanc" ou "occidental" en Asie du sud-est), instructive et bien écrite vient terminer le roman en un prolongement plus intellectuel et émotionnel quand le livre relève des sens et de l'intuition émanant des vagabondage de l'esprit. 

Une seule injonction: prenez donc ce radeau, où qu'il vous porte; la vie de Cam-Ngaï vous tend les bras !

Elle s’affaira ainsi pendant de longues journées avant de se résigner à finir une bonne fois le panier, dont l'anse et le couvercle étaient ornés de motifs décoratifs. Elle le montra à Cam-Ngaï en souriant.
- Qu'est ce que tu vas mettre dedans ? demanda-t-il.
- Du brouillard. 
 

En résumé

Les plus :
  • Une écriture simple, pleine de poésie,
  • une belle histoire d'amitié entre un homme et un éléphant, 
  • un roman initiatique profond sur le sens de la vie. 
Les moins :
  •  Un dépaysement certainement décevant pour les globe-trotters en herbe,
  • des logiques des personnages pouvant être parfois heurtantes car de culture différentes (Notamment les réactions vis-à-vis de Air). 

En conclusion

Un roman semblant léger mais plein de profondeur, récit initiatique entre Plaïssoute l'éléphant, Cam-Ngaï et la rivière Yom. Une entrée dans la pensée bouddhiste sans fioritures. 

Air fait partie de moi, pensa-t-il, comme je fait partie d'Air. Et Madjane aussi. Nous trois, on forme un tout inséparable. Personne n'est heureux ou malheureux tout seul. Le bonheur, le malheur de chacun affecte aussi les autres. Tout être humain a des liens invisibles avec les autres. Je ne suis pas que moi. Plaïssoute n'est pas que Plaïssoute. Je suis en lui et il vit en moi.  

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