mercredi 30 septembre 2015

Nénuphar, femme sioux, fille du grand peuple Dakota d'Amérique, de Ella Cara Deloria

 A la surface de l'eau poussaient des nénuphars qui l'attiraient irrésistiblement. Comme ils étaient beaux ! Comme ils vous forçaient à écarquiller les yeux pour pénétrer leur forme et leur esprit. Son regard passait de l'un à l'autre; soudain, il lui fut impossible de les dissocier du visage de son enfant. Une nouvelle sensation l'envahissait, l'étouffait presque. "Ma fille ! s'écria-t-elle, comme tu es belle ! murmura-t-elle dans des sanglots de joie. 


 Si vous ne lisez que ces lignes;

Une plongée dans le monde amérindien grâce à la plume délicate d'une des plus grande collaboratrices de Franz Boas, le célèbre anthropologue du début du 20iém siècle.  Vision de la société Dakota via trois générations de femmes, récit reposant sur des témoignages recueillis tout au long de sa carrière de linguiste et d'anthropologue par Ella Cara Deloria, Nénuphar réussit pleinement son but premier; nous faire mieux comprendre les sensibilités et les fonctionnement de la société Dakota. 

Les garçons faisaient tourner des branches de cèdre sur la glace, comme des toupies. Les plus petits aimaient représenter le vieux mythe du hibou. Ils se déguisaient et portaient des masques  pour incarner l'esprit du hibou et allaient de tipi en tipi tout en dansant. Le public leur demandait de prédire le temps, car ils étaient supposés venir du Nord, le pays de l'hiver. On leur donnait des gâteaux de maïs et de la viande sèche avec des fruits sauvages et autres friandises. 
 

Ella Cara Deloria


Ella Cara Deloria, aussi nommée  Aŋpétu Wašté Wiŋ (Beautiful Day Woman),  est née en 1889 dans le quartier de White Swan de la réserve Yankton indienne, des Dakota du Sud. La famille avait des ascendances Yankton Dakota, anglaises, françaises et allemandes. (Le nom de la famille remonte à un ancêtre trappeur français nommé François-Xavier Delauriers.) Son père était l'un des premiers Sioux être ordonné comme un prêtre épiscopal. Sa mère était la fille d'Alfred Sully, un général de l'armée américaine, et un Métis Yankton Sioux. Ella était le premier enfant du couple, qui avait plusieurs filles par chaque précédent mariage. 

Ella a grandi dans la réserve indienne de Standing Rock au Wakpala, et a commencé ses études auprès de son père à la mission St. Elizabeth puis au pensionnat à Sioux Falls. Après ses études, elle a assisté aux cours de  l'Oberlin Collège dans l’Ohio où elle avait remporté une bourse d'études. Après deux ans à Oberlin, Deloria fut transférée au Teachers College, Columbia University, New York, et a obtenu un baccalauréat ès sciences en 1915. 

Elle fut l'un des premiers véritables chercheurs bilingues et biculturels dans l'anthropologie américaine, et une érudite extraordinaire, professeur, poursuivant son travail et ses engagements dans des conditions notoirement défavorables. Elle vécut pendant un temps dans une voiture tout en recueillant des matériaux pour Franz Boas. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a souffert de ne pas avoir l'argent ou le temps libre nécessaire afin d’avancer ses recherches.  Appui financier de sa famille en tant qu’ainée, Son père et sa belle-mère étant des personnes âgées, sa sœur Susan dépendait d'elle financièrement. 

En plus de son travail en anthropologie, Deloria avait un certain nombre d'emplois, y compris dans l'enseignement (danse et éducation physique), des conférences et des démonstrations sur la culture amérindienne, ainsi que pour le camp des Filles du Feu et la YWCA. Elle a également occupé des postes à l'Indian Museum Sioux dans Rapid City, Dakota du Sud, et en tant que directrice adjointe au cours Musée WH à Vermillion. Son frère, Vine Deloria V., Sr., était un prêtre épiscopal, connu  pour son charisme et ses talents oratoires. Il fut désillusionné par le racisme au sein de l'Église épiscopale. Son neveu était Vine Deloria, qui est devenu un grand écrivain et activiste intellectuelle. 

Recrutée comme étudiante avec son fiancé afin de travailler avec lui sur la linguistique des langues amérindiennes, elle a également travaillé avec Margaret Mead et Ruth Benedict, anthropologues éminents qui avaient été les étudiants des cycles supérieurs de Boas. Pour son travail sur les cultures amérindiennes, elle avait l'avantage de la fluidité dans les dialectes Dakota, Lakota et Nakota des Sioux, en plus de l'anglais et du latin.

Ses compétences linguistiques et de sa connaissance intime de la culture traditionnelle et christianisée Sioux, avec son engagement profond à la fois pour les cultures amérindiennes permirent à Ella Cara Deloria d'effectuer d'importants travaux, souvent avant-gardistes dans l'anthropologie et l'ethnologie. Traductrice  en anglais de nombreux textes historiques et scientifiques Sioux, comme les textes de Lakota recueillis par George Bushotter (1864-1892), le premier ethnographe Sioux, ou encore les textes Santee enregistrés par les missionnaires presbytériens Gideon et Samuel étang, frères du Connecticut. 

Elle reçut des subventions pour sa recherche de l'Université Columbia, l'American Philosophical Society, la Fondation Bollingen, la National Science Foundation, et la Fondation Doris Duke, de 1929-1960s. Elle compila un dictionnaire Lakota jusqu’au moment de sa mort. Son travail est d’une valeur inestimable pour les chercheurs, encore à présent. 

Nénuphar, son roman racontant la vie traditionnelle des Dakota, fut écrit dans le but  de faire comprendre par le mélange de faits et d’empathie cette culture au plus grand nombre. Déplorant la sécheresse des textes scientifiques ainsi que l’inefficacité de ceux-ci dans la compréhension mutuelle de cultures différentes, elle fut poussée par ses connaissances scientifiques à produire ce texte hybride, précurseur en un sens de l’écriture anthropologique moderne qui, depuis, intègre ressentis et questionnements du chercheur.
Deloria eu un accident vasculaire cérébral en 1970, et mourut l'année suivante de la pneumonie.

  • En 1943 Deloria a remporté le Prix d'excellence indienne.
  • En 2010, le Département d'anthropologie de l'Université de Columbia, de Deloria alma mater, a établi le Ella Deloria C. cycle, bourse de recherche en son honneur.
  • Le cratère vénusien Deloria a été nommé en son honneur.

 Le pitch  

Oiseau Bleu, femme Dakota, s'est mariée précipitamment à un homme immature. Sur le chemin qui mène sa tribue au prochain lieu d'établissement du campement, elle donne naissance à Nénuphar, sa fille. Bientôt des changements s'opéreront dans la vie de Nénuphar, de sa mère et de sa grand-mère qui retrouveront leur famille de sang ainsi qu'une place sociale plus confortable. 

Grandissant sous les tipis de sa famille élargie, participant à la vie familiale domestique et rituelle, Nénuphar et Oiseau Bleu nous font vivre leur quotidien de femmes sioux du début du XIXiém siècle. 

Rythmé par les valeurs et croyances Dakotas, c'est tout un pan culturel et social que nous fait partager Nénuphar, en une immersion dans un monde où l'homme blanc n'était encore qu'une curiosité lointaine. 

 -Voyez, mes enfants, dit un jour le viel homme, c'est pour ça que j'ai prié. Pour que le cœur de la tribu soit disposé favorablement envers nous, pour qu'un cercle de sympathie se resserre autour de nous. Ma prière est exaucée, et j'en suis reconnaissant. 

Très vite, cette cérémonie  devint l'affaire de toute la tribu, car tous, un jour ou l'autre, avaient été touchés par la gentillesse de Gloku et voulaient la lui rendre. Souvent, ils ne se contentaient pas d'apporter un seul cadeau, mais en apportaient plusieurs, à des moments différents de la période de deuil. A en juger par la pile qui s'amoncelait, la redistribution des biens allait être grandiose. 


Ce que j'en ai pensé

Attrapé au hasard dans ma PAl afin de faire diminuer celle-ci, j'ai découvert que j'avais cette petite merveille sur mon étagère. Passionnée depuis l'enfance par les amérindiens ainsi que par les récits anthropologiques, ma rencontre avec cet ancêtre de Jim Fergus fut une réelle joie. 

Dés le début du récit, Ella Cara Deloria immerge le lecteur dans la vie d'Oiseau Bleu; un accouchement à l'écart de la piste, seule, au sein d'une famille par liens conjugaux avec lesquels n'existe pas vraiment d'affection. 

Loin des descriptions et digressions romantiques  des auteurs se sentant "la fibre amérindienne", ici il n'est pas question de visions du Grand Esprit à chaque pas ni d'une religiosité ridicule et caricaturale mais de règles sociales et rituelles rythmant la vie de tout un chacun, propriétaires de leur normalité. Inutile de tirer à boulets rouges sur certains auteurs et leur vision pathétique du bon sauvage...

Proche des romans de James Fenimore Cooper, Nénuphar immerge dans une culture sans points d'opposition ou de comparaisons avec la culture blanche, dans la tradition des monographies ethnologiques. Créant des personnages attachants et aux psychologies bien établies, Ella Cara Deloria rend vivante la vie de tout un peuple, ressuscitant un age à présent lointain. Passant des jeux d'enfants aux responsabilités d'adultes, des modes d'éducation aux  rituels funéraires, des moments de flirts aux travaux domestiques de tout un chacun, ce roman retrace la vie usuelle d'une grande nation. 

Écrit afin de faire comprendre les modes de pensées et de fonctionnements d'une culture, ce roman parvient à son but et plus encore, possédant de véritables qualités littéraires.  Les péripéties des divers protagonistes ainsi que leurs caractères rendent le récit palpitant, et le lecteur est plongé dans la vie du camp y prenant part au travers des personnages, s'appropriant une place dans le cercle. 

Touchant, ce roman contant à merveille les liens familiaux, amicaux et sociaux d'une société basée sur le don et l'honneur réussit à créer un lien entre le lecteur et les personnages. Reste à la fin de la lecture une nostalgie pour des personnages qui nous ont parus bien réels...

Les enfants qui s'étaient installés dans une position plus confortable finirent par s'endormir, la tête sur les genoux de leur mère. Elle les regardait tendrement en leur épongeant le front, car la journée était très chaude.
- Qu'est ce qu'une femme peut demander de plus que d'avoir les bras pleins d'enfants ?
 

En résumé... 

Les plus;
  • Une immersion dans la culture Sioux Dakota,
  • des personnages touchants et attachants,
  • un récit dont la clé d'entrée sont des femmes,
  • des péripéties et événements rendant le récit palpitant.

 Les moins;   

  • un texte bien peu connu qui mériterait une plus belle place dans les bibliothèques. 
 "Les présents que vous apporterez iront au meurtrier, ce sont les symboles de notre sincérité et de notre but. Comme il nous a blessés, il doit devenir quelque chose pour nous (un parent) à la place de celui que nous avons perdu. Le défunt était ton frère ? Alors, cet homme sera ton frère.  Ton oncle ? Ton cousin ? Pour moi, le défunt était mon neveu, son meurtrier sera mon neveu. A partir de maintenant, il deviendra l'un des nôtres. Nous le considérerons comme si notre cher défunt nous avait été rendu."


En conclusion;

Un coup de cœur immense pour ce roman contant le mode de vie de femmes et d'hommes à présent oublié. Touchant, drôle par moment, étonnant et immersif, ce roman est un trésor pour tout amoureux des cultures amérindiennes. 


cités dans cet article 


pour aller plus loin  


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