mercredi 13 mai 2015

Jour de feu de René Barjavel

 - Qu'est ce qu'ils font ceux qui Le suivaient ? Ceux qui L'ont acclamé avec des branches vertes ? Qu'est ce qu'ils fichent ?  Ils cherchent aussi de la flotte ?
-Ceux qui Le suivaient se cachent, dit doucement Madeleine. Et ceux qui L'acclamaient Lui ont craché dessus...
- Ordures ! dit Barrabas. C'est ça les hommes ! J'en ai pas tués assez !


Si vous ne lisez que ces lignes;

Le talent de conteur de Barjavel au service d'un mythe religieux connu de tous transposé dans les années 50 à Collioure, village côtier fortifié catalan. Jésus et Barrabas entourés de gendarmes et d'espadrilles, drôle de mélange détonnant qui fonctionne à merveille sous la plume du magicien plus connu pour ses œuvres de science-fiction. 

Jésus arrêté !... Barrabas arrêté !... Les deux nouvelles couraient dans la foule, du tir aux autos tamponneuses, du port aux cafés. C'étaient surtout le vieux et les femmes qui parlaient de Jésus, à voix basse. Les jeunes garçons se jetaient le nom de Barrabas, inventaient les détails de la bataille, les centaines de morts, la Tour qui saute. 


René Barjavel

Né à Nyons dans la Drôme, le 24/01/1911  Mort à Paris, le 24/11/1985

René Barjavel est un écrivain et journaliste français, principalement connu pour ses romans d'anticipation. Certains thèmes y reviennent fréquemment : chute de la civilisation causée par les excès de la science et la folie de la guerre, caractère éternel et indestructible de l'amour (Ravage, Le Grand Secret, La Nuit des temps, Une rose au paradis, Le voyageur imprudent). Son écriture se veut poétique, onirique et parfois philosophique. 

Il fait également des incursions dans la littérature plus traditionnelle, avec un roman comme les Chemins de Katmandou, ou dans l'univers des légendes arthuriennes avec l'Enchanteur ou Les dames à la licorne écrit en collaboration avec Olenka de Veer. 

Il a aussi abordé dans de remarquables essais l'interrogation empirique et poétique sur l'existence de Dieu (notamment, La Faim du tigre), et le sens de l'action de l'homme sur la Nature. Il fut aussi scénariste et dialoguiste de films. On lui doit en particulier le scénario du Petit monde de Don Camillo. Fils du boulanger Aimé Henri Barjavel, petit fils de paysans, René Barjavel perd sa mère, Marie Lydie Paget, veuve d’Émile Achard, en 1922, qui souffrait de la maladie du sommeil depuis 1919. 

Il fait ses études au collège de Nyons en 1922 puis à celui de Cusset dans l’Allier en tant que pensionnaire. 

Après le bachot en 1927, il fait de nombreux métiers pour gagner sa vie : pion, employé de banque, conférencier. Il débute à dix-huit ans dans le journalisme au Progrès de l’Allier, à Moulins. Il publie le texte d’une de ses conférences Colette à la recherche de l’amour. Il devient en 1935 secrétaire de rédaction de la revue Le Document, puis chef de la fabrication des éditions Denoël.

Puis il devient critique cinématographique, caporal-cuistot pendant la Seconde Guerre mondiale et créateur de L' Écho des Étudiants à Montpellier. De retour à Paris, à la fin de 1940, il fait paraître plusieurs de ses romans, tous dans un style différent. 

Pour une biographie plus complète, quelques sites; wikipedia, Barjaweb ou encore un podcast de France culture sur les mots clés de l'auteur interviewé. 


Le pitch

C’est l’été. Le village de Collioure se prépare pour la fête du Roussillon. L’air sent le pastis et le melon. Les vieilles Catalanes vêtues de noir croisent les Parisiennes en bikini.

Deux nouvelles courent parmi la foule : hier, Barabbas a été emprisonné. Et pendant la nuit les gardes de Caïphe ont arrêté Jésus. Les croix dressées sur la colline attendent les prisonniers.

Tandis que Judas boit un demi au café, Pilate débat avec Caïphe pour savoir lequel de Barabbas ou de Jésus sera gracié. Un avion tourne sur la ville et laisse tomber des tracts : Libérez Barabbas!

Où sommes-nous? En quel temps? C’est l’éternité d’une histoire tragique, toujours présente, en tout lieu et en tout temps…  

Jour de feu de René Barjavel, roman inclassable et fascinant, révèle un autre visage du maître du fantastique et de l’anticipation. 

 Aux éditions Denoël,
208 pages, 125 x 175 mm

Alors Barrabas se redressa et bondit en poussant un cri sauvage. 
Il tomba sur le lieutenant, l'écrasa contre lui de son bras gauche, et lui arracha sa mitraillette qu'il braqua sur les soldats. Il hurla vers eux :
- Si vous tirez je le tue !

Ce que j'en ai pensé


Curiosité oblige, je me suis portée volontaire pour lire ce roman de Barjavel que je ne connaissais pas. Auteur génial d’œuvres ayant marquées les imaginaires, j'ai découvert une facette pourtant importante de René Barjavel; l'amoureux de cinéma. 

En effet, dans une préface passionnante ouvrant cette œuvre, l'auteur nous conte la naissance du projet Barrabas; un film, des amis, des conditions de tournage compromises et une volonté de profiter de la fête de pâque (la sanch) de Collioure , village ayant vu défiler bien des peintres de Matisse à Braque en passant par Dufy, Picasso, Dali ou encore Cézanne... De cette épopée ne resteront que quelques bouts de pellicule et un livre regroupant des peintures et croquis de Willy Mucha accolés de textes de Barjavel.

Hommage à la pièce de Ghelrode portant sur le même sujet, Jour de feu est donc né d'une pièce de théâtre, s'est voulut un film et fut finalement un roman. Bel objet en soi, ce roman bénéficie d'une couverture résumant à merveille l'esprit de ce roman, fondant tant dans la forme que dans le contenu un tout homogène; l'écrin correspondant au bijoux littéraire. 

Transposer l'histoire liant Barrabas à Jésus dans les années 50 dans un village catalan est, en soi, une bien étrange idée de premier abord... Est-ce donc un hasard que les romains soient des occupants étrangers (faisant fortement penser à l'occupation nazi sans jamais être réellement mentionnée) et que tout ceci se passe à quelques encablures de là où Walter Benjamin se "suicidera" lors de sa tentative pour fuir la menace nazi ? Nul ne le saura certainement jamais... 

Reste que la trace historique des uns et des autres se mêle en un tout proche du mythe dans le chaudron étrange et merveilleux de Barjavel. 

Conteur hors pair, Barjavel dessine avec détails et gourmandise tant les ruelles ensoleillées et la population locale que les péripéties des protagonistes bibliques, transformant le château en temple, les coteaux en mont Golgotha, et la joie de la fête de la sanch en une catharsis dramatique. 

Rythmé à souhait, se faisant palpitant et épique, l'épisode religieux se fait roman de cape et d'épées (de mitraillettes et d'espadrilles) sous la plume géniale et vivifiante de Barjavel.

Humanisant les personnages de cet épisode religieux, Barjavel apporte un éclairage donnant du relief à une tragédie paraissant parfois simpliste,  rendant la comédie humaine à sa complexité, le tout dans un récit pasionnant. Tour à tour, le lâche, le révolté et le porteur d'amour délivrent leur message, en une tragédie épique, chacun portant en lui une vision compréhensible de l'histoire. 

Respectueux des figures et symboliques religieuses, transposant sans défigurer, Barjavel joue certainement son plus grand tour de génie en modelant la glaise de ce récit sans toucher à sa sacralité, contentant certainement les lecteurs de toutes sensibilités.  

Les juges, les uns décidés, les autres hésitants, prirent leur chapeau et se couvrirent. Un d'eux avait pris son chapeau à deux mains et le regardait. Il n'avait pas l'air décidé à le poser sur sa tête. C'était le patron du cinéma. Ce Jésus ne lui paraissait pas terrible. Dans tous les films en noir et en couleurs projetés sur son écran, il en avait vu de plus dangereux. Et ça finissait toujours bien.

En résumé

Les plus :
  • Une relecture moderne et passionnante d'un mythe biblique,
  • un rythme et une plume proches des romans d'aventures du 19iém siècle, 
  • une humanisation des protagonistes en faisant une tragédie humaine superbe,
  • un respect de la sacralité du récit sans tomber dans le religieux.
 
 Les moins :
  •  je n'en voit aucun, hormis peut-être le sujet du roman qui pourrait en détourner certains lecteurs. 

En conclusion

Un coup de maître par un maître est-ce bien étonnant ? A fortiori non, bien que le sujet et le cadre de l'histoire surprennent et en fassent le sel de l'histoire... Moment de plaisir certain, la plume de René Barjavel conte à merveille, éclaire et amène du relief là où la curiosité ne m'aurait pas menée d'emblée. Un roman épique !

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1 commentaire:

  1. Tout à fait d'accord avec vous! C'est la pépite de l'année pour l'instant!

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